Regards sur soi-même

Le dernier biscuit de la boîte. Qui veut être heureux ?

10 février 2017

Vous avez sans doute remarqué, nous buvons le café, les biscuits sont délicieux et tout le monde se sert dans la boîte plus ou moins modérément. Puis vient le moment où il n’en reste plus qu’un. Et là, bizarrement, le dernier biscuit reste là, personne n’ose plus le prendre. Il faut que notre hôte présente la boîte à chacun en insistant, pour que le plus gourmand d’un air quasi coupable et contraint feigne de « se sacrifier ».

Il n’est pas si simple de prendre ce qui est bon. Je me suis parfois demandé pourquoi mes choix de vie semblaient souvent m’avoir portée vers la difficulté. Quel était le bénéfice caché de cela ? Je me souviens m’être toujours sentie bien plus vaillante et valeureuse quand je traversais l’adversité, je sais que je trouvais dans ces moments-là mes plus grandes forces et mon plus grand courage, et aussi les attentions des autres. Je pense que je me suis aussi refusé le droit de prendre le dernier biscuit de la boîte, parce que je pensais ne pas le mériter.

Il m’a fallu avancer dans mon développement personnel pour envisager la « possibilité du choix éventuellement hypothétiquement loufoquement impensable » d’orienter ma vie vers la légèreté et la sérénité, juste en le décidant (oui, même en traversant les épreuves, et surtout en les traversant), sans avoir peur que cela ne s’arrête, sans penser que cela n’était pas « normal ». Il m’a fallu retrouver l’estime de moi-même, ou en trouver, pour réfléchir à la direction que je voulais pour ma vie, et pour oser la suivre.

Et un jour… j’ai pris le biscuit. Après m’être aperçu qu’il y avait une boîte neuve à disposition des autres. Non je ne privais personne, il était pour moi car je l’avais décidé et choisi, et non je n’avais pas honte de choisir le bonheur à partir de maintenant.

Et j’acceptai de couler désormais mélodieusement ma vie dans les bénédictions nourrissantes spirituelles, relationnelles et affectives. Je me jurai de mettre en oeuvre tout ce qui serait en mon pouvoir pour voir à présent le verre à moitié plein, pour penser la vie comme une urgence, comme si j’allais mourir très bientôt et qu’il fallait que je fasse ce que j’avais à accomplir ici, même si je ne savais pas ce que c’était.

C’est alors que les autres m’ont regardée d’un sale œil. « Comment ? Elle a pris le biscuit ? Elle a ooosé ? Mais elle ne pense qu’à elle, quelle égoïste ! Depuis toujours on se prive pour ne pas le prendre, et elle arrive et elle l’accepte avec plaisir sans remords ? Et en plus elle a le sourire ? C’est honteux, indécent ! » Et beaucoup de jugements, d’attaques à distance, ou de silences pesants ont suivi de la part de mon entourage. J’attendais que quelqu’un m’en parle, ose me dire ses rancœurs, me demande des explications, pour lui proposer d’ouvrir une boîte neuve, pour lui aussi, qu’il puisse voir à quel point il restait des biscuits en quantité, des chocolatés, des au coco, des craquants, des fondants, lui dire qu’il n’avait plus qu’à faire son choix et qu’il y avait droit aussi.

Mais j’ai été soudain fuie, repoussée, je suis devenue une fréquentation dangereuse. L’isolement comme pénitence au bonheur.

Et dans cet isolement, toute vision de ma vie d’avant s’est soudain mise à me blesser, comme si la conscience de sa perte devenait soudainement douloureuse au point d’occulter l’énergie puissante de ce nouveau chemin plein de promesses que j’avais choisi de suivre.

Dans cette tristesse et ce sentiment d’incompréhension, m’a échappé sur le carrelage, un jour, mon vieux pot en verre préféré, celui dans lequel, depuis de longues années de mon métier adoré de Maman, je disposais soigneusement les biscuits tout chauds confectionnés avec tendresse pour le retour d’école. Le pot merveilleux d’Aladin dont, lorsque j’ouvrais le couvercle, jaillissaient des milliers de rires, de joies, de délices, pierres précieuses scintillantes au milieu du brouillard de souvenirs parfois pénibles. Ce pot magique, dernier vestige des moments doux de la tempête de mon ancienne vie, avait explosé au sol. Je suis restée figée. Je n’ai rien dit. Puis j’ai ramassé les débris, pendant que mes yeux s’embuaient de larmes, avec l’envie de hurler ma rage, mon désarroi, ma perte immense, l’injustice dont je me sentais la proie. J’avais tout perdu à cause de ce choix du bonheur, fait un jour d’audace, de courage et de respect envers moi. Et alors que j’étais prostrée dans un coin en constatant que plus jamais rien ne serait comme avant, une main m’a repris la pelle et la balayette des miennes et m’a tendu un sourire de soutien tout en ramassant les derniers bouts de verre : un compagnon pour ma vie. Une lumière qui balise mon chemin désormais. Un diamant brut au milieu des cailloux.

J’ai rejoint doucement ce jour-là ce salon de thé où les gens se servaient allègrement, partageaient leurs biscuits gracieusement, se réjouissaient des délicieuses recettes échangées. Je n’étais plus la bienvenue ailleurs, et ça me faisait toujours comme une petite douleur juste là, comme une petite révolte. Mais j’avais un nouveau monde à découvrir. Un monde où je pouvais déployer mes ailes, monter en haut des toits pour crier qui je suis. J’avais enfin percé mon plafond de verre pour donner à moi-même et aux autres le meilleur.

Les freins de ma vie ne résidaient finalement pas dans mes choix, aussi difficiles fussent-ils, mais dans le jugement des autres sur mes choix. Mais je n’avais plus envie de me laisser sombrer pour donner une impulsion au fond de l’eau et remonter à la surface, juste pour montrer à quel point je suis vaillante. Ma nouvelle ressource extra-puissante me convenait beaucoup mieux : simplement décider d’être heureuse, et oser le faire.

Evelyne Mester.

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