Et le couple

La CNV dans le couple… c’est pas de la tarte.

2 novembre 2017

[ Temps de lecture :  8 mn ]

La CNV, vous en avez peut-être déjà entendu parler : c’est la « Communication NonViolente », mise en place par Marshall Rosenberg. Je vous invite à consulter ses vidéos.

En simplifiant, on pourrait dire qu’il s’agit de considérer que les besoins des êtres humains sont universels et que l’on peut ainsi se comprendre et se faire comprendre en suivant quelques étapes : observer et énoncer la situation –> exprimer son ressenti –> exprimer le besoin caché derrière –> formuler une demande –> valider ensemble (ou avec les différentes parties de soi) la demande ou pas –> recommencer le processus jusqu’à ce que les protagonistes se sentent satisfaits.

Le but est de mettre ses besoins primordiaux en évidence en cherchant à les combler au mieux, pour améliorer la relation à soi et celle aux autres au travers de l’expression, la transparence, l’écoute, l’empathie.

Chez nous, la CNV nous a permis de travailler sur nos zones d’inconfort : pour moi apprendre à laisser plus de place à l’écoute au centre d’un conflit, et pour mon compagnon à ouvrir son regard sur l’utilité des émotions comme un indicateur précieux à prendre en compte, pour prioriser l’empathie sur la solution autrefois proposée comme voie directe. Cela nous a permis de nous sentir écoutés mieux que jamais et de nous comprendre sur des attitudes qui nous laissaient parfois perplexes.

Il y a mille et une façon de vivre la CNV, je vais vous parler de la nôtre, que l’on expérimente et adapte chaque jour et que nous apprécions de teinter d’outils ou de postures piochés dans des approches complémentaires.

***

Quand on parle de CNV, beaucoup de ceux qui en ont entendu parler pensent qu’il suffit de compléter cette phrase servant souvent de modèle, en l’adaptant à sa sauce : « Quand ……(description de ce que je vois)….., je me sens……(description de mon ressenti)…….., car j’ai besoin de………(définition de mon besoin)…….., est-ce que tu es d’accord pour ……….(demande claire)……… ?

Simple, n’est-ce pas ?

Il arrive qu’ils soient persuadés, comme moi autrefois, de savoir manier la CNV et que « pourtant, ça marche pas ». Normal, elle n’est pas faite pour « marcher ».

La CNV, pour moi, est une philosophie de vie et non pas une technique pour arriver à ses fins. Or elle n’est parfois qu’une jolie façade, au lieu d’être sincère et vraie, ce qui d’ailleurs est démasqué rapidement par l’entourage.

Une des erreurs courantes me semble être de chercher à faire changer le comportement de l’autre en prononçant ces « formules magiques » préfabriquées (souvent mal traduites de l’anglais) qui sonnent de façon artificielle, et peuvent exaspérer le conjoint dubitatif, qui va chercher à nous pousser un peu jusqu’à ce qu’on redevienne naturel(le). Bref, si vous souhaitez lui dire qu’il est un con en suivant le processus, cela peut donner ça : « Quand tu poses ta cuillère sur ton nez en faisant un cri d’otarie, je me sens agacée/désespérée/déconcertée/en colère/honteuse, parce que j’ai besoin de sécurité affective/sagesse/… Est-ce que tu es ok pour arrêter de le faire ? »

Vous la voyez l’erreur, ou pas ? … Vous avez demandé à l’autre de changer son comportement. Un comportement qui lui plaît vraiment, à lui. Votre intention est qu’il vous satisfasse et hop on n’en parle plus, problème réglé. Trop facile hein ? On se demande bien du coup pourquoi « ça ne marche pas ». Haha. Bizarre.

Il s’agit d’être cohérent un minimum. Ai-je vraiment envie de m’adresser précautionneusement à mon mari qui m’insupporte depuis cinq ans, ou alors préférerais-je le réduire en bouillie de manière virulente et efficace, elle ?

Quelle est mon intention envers lui en décidant de lui parler en mode CNV ? Qu’il se sente respecté tout en prenant en compte mes demandes, ou bien qu’il devienne soudain une personne parfaite sur mesure pour moi ? …

Bref, si j’ai des attentes dans le but de me servir moi, soit je peux aller dans le sens de faire changer l’autre pour ça, soit je peux faire des choix cohérents avec ces attentes (divorcer/hurler/et toute autre idée que je suis sûre vous avez). Soit encore je peux travailler sur mes ressentis en priorité pour vivre mieux ma vie malgré les difficultés. Les relations risquent de s’en sentir allégées.

C’est là que la CNV intervient pour soi. Utilisée contre les autres, en effet « ça ne marche pas ». Que ce soit la CNV ou toute autre technique ou approche.

Car la première personne sur laquelle on peut agir vraiment, c’est soi-même.

Cela ne signifie pas que nous allons être déclarés « en tort » dans les disputes de couple ou que nous avons à renoncer à ce que nous souhaitons. Cela signifie que nous allons chercher à être en paix avec nous-même en plongeant à l’intérieur de nous, plutôt que de chercher la cause de nos malheurs à l’extérieur. C’est de cette étape de responsabilisation et introspection que va pouvoir émerger plus d’aisance dans notre façon de mettre des mots sur nos besoins, et donc de les faire respecter. Pour moi je dirais que mes besoins sont étroitement liés aux valeurs qui me sont chères. Ils tournent toujours autour de la liberté, la joie, la connexion, le partage, la paix, le calme, le lien avec la nature,…

La CNV est à mon avis plus simple à mettre en place « à froid », quand on a le temps d’y réfléchir. Si vous cherchez là direct à l’utiliser sur une situation en feu, vous risquez de vous brûler. Il est utile d’apprendre progressivement, au calme et sans urgence, à se connaître soi-même profondément en s’écoutant, en décidant de s’occuper de tout son être esprit/corps/cœur. De s’entraîner à trouver les mots qui correspondent le mieux à nos besoins profonds, à reconnaître notre propre légitimité, à chercher à être en dialogue perpétuel avec soi, parfois avec plusieurs parties de soi contradictoires, pour arriver doucement, pas après pas, à l’alignement sincère entre nos valeurs et nos choix de vie.

C’est seulement après avoir intégré ce fonctionnement sur soi-même, je le pense, que nous allons pouvoir commencer à pratiquer réellement la CNV avec l’autre, plutôt que contre lui.

Ça a l’air moins simple d’un coup, hein. Je vous conseille grandement pour ça les vidéos d’Isabelle Padovani, que je qualifie « d’humoriste du développement personnel », qui vous aideront à relativiser et vous relaxer.

Il se peut fortement que suite à votre propre travail sur vous, des choses arrivent dans votre couple de façon quasi miraculeuse, des changements inespérés, par effet systémique. Et non ça ne vient pas des paroles magiques, mais bien de votre état d’esprit, de votre cœur relié à un autre cœur, de votre intention positive envers votre partenaire, à qui vous souhaitez à présent le meilleur car vous ne le tenez plus pour responsable de tout ce qui vous arrive, et dont vous avez envie de prendre soin, car vous avez décidé de stopper les épées qui croisaient le fer. Et l’arrêt de la guerre et de la haine envers la personne qu’on est censé aimer, ben ça assainit l’ambiance.

Mais a-t-on aussi facilement le goût à la paix quand on ne se sent ni respecté ni pris en considération ?

Comment faire lorsqu’on a tellement besoin d’écoute, de compréhension, d’être plaint, rassuré ou cajolé ? Cessons d’attendre des autres, et s’ils nous donnent, et bien ce ne sera que du bonus à prendre avec immense gratitude. Apprenons à nourrir nos propres besoins, en conversation avec soi-même.

Gné ? ? Sérieux ? Moi j’ai tout de même envie d’obtenir de l’empathie et de la considération de la part de mon partenaire ! C’est toujours agréable dans le couple, et parfois vital ! Oui ben on est humains hein, pas des robots. C’est pas pour rien qu’on vit à plusieurs sur la Terre.

Nous avons fait le choix, mon compagnon et moi, d’être tous les deux formés à la CNV et à d’autres approches et outils de communication. Eh bien ce n’est pas plus simple pour autant, alors quand un seul des partenaires ne l’est, je vous laisse envisager à quel point il va falloir porter le projet.

J’ai un petit exemple qui nous a fait dire que la CNV dans le couple, c’est vraiment pas de la tarte.

Par un bel après-midi d’automne ensoleillé, je réalise que cela fait plusieurs jours que j’ai un besoin de connexion avec mon compagnon Reblochon-Pizza (c’est son nom. Fallait bien que je ressorte ma vieille tradition de noms étranges). En effet, l’invité que nous avions depuis plusieurs jours vient de partir, et j’aspire à retrouver notre proximité affective, nos rires, nos discussions, ou juste à ne rien faire mais à deux.

Je décide de le lui dire, il m’entend et m’exprime son souhait qui rejoint le mien.

Heureuse, j’attends. La journée passe. Puis une deuxième. Le troisième jour, je vois mon compagnon entrer dans mon bureau, blouson sur le dos, qui me dit : « Je bosse pas cet aprèm, je vais en ville torcher plein de trucs (=faire des courses inintéressantes qu’il faut faire puisqu’il le faut) »

Contente de cette opportunité de passer du temps ensemble et rendre cette tâche plus agréable, je lui demande avec joie si je peux aller avec lui. Et là, son corps le trahit (mmmh le non-verbal) : il reste figé, les yeux écarquillés, comme si je venais de lui annoncer que j’avais mangé son burger.

Arrrgggh ? Ben j’explose, le cœur brisé de sentir son rejet après quinze jours d’éloignement, lourde du vide de communion que je ressens en moi. Je le rends responsable de mon désespoir, de ma future éventuelle mort imminente, du réchauffement climatique de la planète, du pot de fleurs tombé sur le chat, je le culpabilise de m’abandonner, je le soupçonne d’un harem de maîtresses. Bref, le minimum syndical quoi. Je ne fais que rarement dans la demi-mesure.

Oui sauf que là, ben j’avais oublié un truc essentiel : il y a quelques jours, quand je lui ai dit mon besoin de connexion, j’ai juste zappé de faire une requête précise pour prendre en charge mon besoin plutôt que d’attendre le prince charmant sur son cheval blanc. J’aurais pu par exemple lui demander précisément : « Est-ce que tu serais ok pour qu’on aille faire une balade dans le quartier après manger pour passer du temps ensemble ? »

Et Reblochon-Pizza dans tout ça ? Ben il était d’accord pour que j’aille avec lui en ville, à ce qu’il paraît. Il ne s’est pas rendu compte d’avoir eu l’air scotché. Mais en creusant un peu plus, il s’est souvenu de ce qu’il avait ressenti au moment de ma demande de l’accompagner : il s’est senti agacé et frustré d’imaginer qu’il faille attendre que je sois prête ou bien que je le freine en voulant faire les boutiques. Il voulait aller vite tout seul afin de revenir dispo pour passer des moments plus sympas que ça ensemble. Finalement, du coup, nous avions bien la même intention de connexion, exprimée de manière différente.

Toutes les formules magiques de CNV du monde ne m’auraient pas aidée à avoir une réaction plus posée, car une blessure de rejet très ancienne avait émergé. J’ai donc détecté ensuite, à froid, que j’avais à travailler sur ce sujet en « auto-CNV ». Et Rebloch’, quant à lui, s’était trouvé devant mon mur émotionnel incompréhensible, trop haut à gravir, trop dur à creuser. Il s’est trouvé en incapacité de déceler en lui ses émotions et de les dire pour donner une explication à ce que j’ai vu ou cru voir dans le non-verbal, qui aurait su panser ma plaie. C’est bien beau la CNV, mais trouver son propre ressenti en quelques secondes n’est souvent pas aisé dans l’action. Savoir le formuler correctement rajoute une couche à la difficulté. Et quand on a une furie en face de soi (moi), il ne reste plus beaucoup de place pour s’exprimer.

Je n’avais besoin que d’une chose après ce raz-de-marée : parler de moi, parler de moi, parler de moi. Rendre mes sentiments légitimes et me faire plaindre de mes souffrances.

J’ai donc beaucoup parlé. Et pas lui. Même s’il se sentait mal. Comme on tire toujours des enseignements de nos accrochages, on s’est questionnés sur cela : quand on est tous les deux affectés par une crise, qui devrait écouter l’autre en premier ? A cette question nous avions eu cette réponse d’experts en CNV : « celui qui est le moins mal ». Pas très simple à calibrer quand chacun tire la couverture à soi, et chez nous en bonne hypersensible, c’est toujours moi qui suis le plus mal. Donc les discussions (enfin, monologue) avaient duré … avec un Reblochon-Pizza patient mais frustré de ne pouvoir obtenir une once d’écoute sous prétexte que sa dame en avait le plus besoin. Et j’étais loin d’avoir envie de lui procurer de l’empathie alors que j’étais encore en rage.

Ce qui est intéressant, c’est que j’ai commencé à l’écouter quand je l’ai senti brusquement authentique : « je sais pas comment exprimer ce que je ressens tout de suite à cause de tout ça, je sais pas le dire avec des mots, mais j’ai mal là dans le ventre, et là dans le cœur je sens quelque chose qui se tord. Je trouve ça injuste que je t’écoute et pas toi. »

C’était pas très conventionnel comme formule magique, mais ça a marché. Car j’ai senti son intention de connecter fortement avec moi, en partageant ses émotions et me rappelant implicitement ma volonté de rendre heureux l’homme que j’aime, tout comme lui voulait mon bonheur.

De là nous est venue une idée : la prochaine fois qu’une crise se présentera, nous ferons un ping-pong. Non non, pas le jeu, enfin si mais pas vraiment. Du « ping-pong CNV », dont voici la règle : celui qui se sent très offensé parle en premier, l’autre écoute avec empathie quelques instants puis demande la parole, et on inverse les rôles autant de fois qu’il le faut, jusqu’à ce que tous les deux nous nous sentions entendus et soulagés.

Ça demande vraiment de garder en tête que nous nous adressons bien à la personne aimée, et qu’elle a droit à nos efforts, car c’est dur en tout cas pour moi de laisser de côté quelques instants mon propre ressenti alors que tout n’est pas encore exprimé.

Bref, si on vous a dit que c’était simple, pincez-vous pour vérifier si vous êtes éveillés.

Et pour vous montrer à quel point il faut savoir être souple dans la CNV, Reblochon-Pizza, auprès duquel une requête précise aurait été bienvenue pour mieux réaliser l’urgence de mon besoin de connexion énoncé plus haut, n’est pas très à l’aise quand je formule une demande claire sur certains autres sujets du quotidien, car il ne se sent alors qu’un exécutant. Même s’il honore ma demande, parce qu’elle lui paraît légitime et facile à satisfaire, son souhait serait de se sentir pris en compte dans l’élaboration des possibilités, digne de confiance pour co-construire une solution, plutôt que de se voir suggérer une façon de combler mon besoin.

Enfin, il y a aurait beaucoup de choses à dire encore, mais plutôt… pratiquez vous-mêmes ! Les couples qui ont au moins déjà essayé une fois la CNV et n’ont pas « réussi », je vous encourage à persévérer, car en trouvant votre propre approche, en pratiquant encore et encore, vous pourrez cheminer sur une piste très constructive.

Le plus important est d’avoir « l’intention » d’être curieux de l’autre, ouvert à lui.

Mon compagnon et moi avons pu vérifier à plusieurs reprises que dès que nous ouvrions la vanne du partage de nos émotions sincères lors d’une confrontation au lieu de ne parler que de la situation en elle-même, cela se débloquait soudainement. Ça vaut le coup, ne serait-ce que pour désamorcer la violence qui peut naître en nous, et semer doucement les graines qui donneront les fruits de l’amour dans notre potager commun.

Et la CNV en famille avec les enfants, on en parle ? Mouhahaha … C’est le sujet de l’article suivant : La CNV dans la famille… c’est pas du gâteau.

Evelyne Mester.

 

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