La parentalité

L’impératif ou la recette de l’échec relationnel – Ecrit par Stéphane Witzmann

12 février 2018

Stéphane Witzmann, coach certifié et thérapeute, signe aujourd’hui cet article en exclusivité pour le blog, qui va certainement bien vous parler. Stéphane est aussi mon compagnon, mon formateur et mon associé, et a joué un rôle important dans mon changement de posture allant toujours plus vers l’égalité en famille.


Quelle est la différence entre un enfant et un colocataire ? Bon, pour commencer l’âge… et sinon ? Et qu’est-ce qui fait que l’on va demander poliment à Bobby-Fait-Trop-De-Bruit (le coloc) de bien vouloir baisser d’un ton parce que ça nous dérange, et que dans la même situation on dira à Mini-Bobby, 8 ans et bientôt toutes ses dents : « Tais-toi ! ! ! Tu réponds pas ! Va dans ta chambre, au lit et pas d’ordi demain ! » ? Peut-être parce que « l’enfant a besoin d’un cadre » (entendu un peu partout). Ou parce que « l’enfant doit respect et obéissance aux adultes » (ça, ça vient de la réunion de rentrée au collège, où d’ailleurs rien n’a été dit concernant le respect de l’enfant par l’adulte). Bref, moi je questionne ces dogmes. Parce que comme on dit, « ça gratte » : il y a quelque chose qui me dérange. Mais quoi ?

Je suis Reblochon-Pizza. Oui, c’est le doux surnom dont ma compagne Crevette-Mangue (alias Evelyne Mester) m’a affublé dans cet article. Ma revanche de nommage étant désormais consommée, précisons tout de suite les choses : je n’ai pas d’enfant. Plus précisément, je n’avais pas envisagé d’en avoir avant de la rencontrer, toutefois j’ai accédé au rang de beau-papa bien plus vite que j’aurais pu l’imaginer. Et avec toutes les questions qui vont avec, à commencer par « quelle est ma place ? ». Autant que je sache, je n’ai aucune autorité légale vis-à-vis de mes beaux-enfants. Et en dehors de ça, si j’avais besoin qu’ils m’obéissent, en quoi suis-je légitime par rapport à eux ? Et avant cela même, est-ce que j’ai envie qu’on m’obéisse ?

Je me questionne… à quoi ça sert qu’on m’obéisse ? Je m’imagine d’un coup entouré d’esclaves tous à mes ordres. Fini le ménage et autres tâches inintéressantes, je me réserve désormais à ce que JE veux, youhou ! ! ! Mais, et mes esclaves… font-ils ce qu’ils veulent ? J’en doute. Est-ce important tant que j’ai ce que JE veux ? Et s’ils se rebellaient ? Mince, je dois avoir un moyen de pression, pouvoir leur nuire d’une certaine manière. Et m’en débarrasser si jamais ils entravent ma liberté.

Bienvenue dans le paradigme du pouvoir sur l’autre : la raison du plus fort est toujours la meilleure, comme dirait Jean. Du simple moustique qui nous empêche de dormir et qu’on va dézinguer à coups de pantoufle (ou de diffuseur électrique pour les flemmards prévoyants) à la guerre en Syrie et ailleurs, les exemples sont nombreux. Culturellement, nous baignons dedans. Regardez le modèle classique de subordination en entreprise : le chef a toujours le dernier mot et peut imposer à ses subordonnés de faire tout et n’importe quoi (tant que ça rentre dans le cadre du contrat de travail et que c’est légal, bien entendu). Voilà donc une bonne raison d’apprendre aux enfants à obéir : parce que c’est comme ça ailleurs. À l’école… puis plus tard en entreprise. Ceux que ça dérange n’ont qu’à devenir patrons. Et puis c’est simple, on gagne du temps et on évite de se remettre en question. Si le gamin n’a pas envie d’aller se coucher, je l’y colle de force (facile, je fais 4 fois son poids) et du coup JE suis tranquille. Et s’il proteste, je peux hausser le ton, le menacer de diverses punitions, etc. Bref, ce paradigme s’auto-justifie facilement : lorsqu’il ne fonctionne pas, il suffit de « taper plus fort », il y a bien un moment où ça finira par marcher. Et JE serai enfin satisfait.

Je ne sais pas pour vous, mais de mon côté je me sens mal à l’aise après ces quelques lignes. Bon d’accord, j’ai volontairement caricaturé… mais sur le fond ça me heurte. Beaucoup de « JE » dedans. L’autre est soit inexistant face au JE (esclavage, guerre), soit secondaire (éducation, entreprise). Ça ne me va pas. Pour moi, le « TU » est important. Je pourrais être à ta place, et toi à la mienne. Pour moi, tu es mon égal et je refuse de prendre le pouvoir sur toi : je souhaite pouvoir exprimer pleinement ma liberté, et toi la tienne. Mince, là ça y est, je l’ai dit (c’est en quelque sorte mon point Godwin personnel) : je suis libertaire. Pour revenir sur le sujet de la parentalité, peut-on vraiment comparer la famille à une dictature parentale ? J’espère que non. Il y a la bienveillance, bordel, et l’intérêt de l’enfant ! Alors, dans quels cas est-il justifié d’utiliser la force, à savoir contraindre l’enfant à faire ce que l’on veut ? C’est la question que je souhaite investiguer ici.

Revenons sur mon exemple d’introduction impliquant Bobby-Fait-Trop-De-Bruit et Mini-Bobby. Avec un coloc, on dira plutôt « Bobby, excuse-moi, je n’arrive pas à me concentrer/dormir/whatever à cause du bruit. Est-ce que tu peux parler moins fort stp ? Merci ! » plutôt que « Ta gueule Bobby ! ». Certes, si ma gêne venait à se prolonger, la probabilité que j’utilise la seconde formulation serait certes accrue. Avec l’enfant, on pourrait être tenté de commencer directement par « Va au lit tout de suite ! ». J’ai d’ailleurs remarqué cette tendance dans les formations que je donne en gestion et prévention des conflits. J’y organise divers jeux de rôle, et j’ai constaté que lorsqu’on joue un adulte qui ferait de la médiation entre deux enfants, on utilise un langage différent de celui du même jeu entre adultes : j’y entends nettement plus de verbes à l’impératif. Pourquoi ? J’imagine que c’est culturel. Cela m’amène à vous proposer ce qu’on appelle dans le jargon des thérapies brèves une tâche d’observation : sur une période de quelques jours, je vous invite à remarquer les moments où vous utilisez l’impératif avec les enfants. Vous pourriez être surpris(e) en conscientisant ainsi certaines habitudes.

L’autre chose qui me fait tiquer avec l’impératif, c’est qu’il place l’autre dans un dilemme immédiat : se soumettre en négligeant ses propres besoins ou se rebeller en négligeant les vôtres. Pas terrible comme choix ! Explorons : quand je dis à l’enfant « Va au lit tout de suite ! », quelle est mon intention ? Je veux dire, derrière le fait que l’enfant s’exécute, qu’est-ce que cela m’apporte ? Certes, vous vous imaginez probablement que cela lui procure également quelque chose (il va dormir plus tôt, il va apprendre qu’on ne fait pas autant de bruit le soir sans punition, etc). Mais si VOUS avez donné l’ordre, c’est bien que VOUS aviez un souci, mais lequel ? Faites-vous cela pour lui (afin d’être un bon parent qui apprend à l’enfant les bonnes manières ou autre intention à but pédagogique) ou pour vous (j’ai besoin de ma soirée au calme) ? Dans les deux cas, VOUS avez un souci avec le comportement actuel de l’enfant. Et vous avez une (et une seule) solution toute faite à VOTRE problème que vous lui imposez. Dictatorial ? Mais non voyons, ça part d’une intention bienveillante ! Mais pourquoi ne me permettrais-je pas d’être « bienveillant » de la même manière avec mon colocataire ? Peut-être le prendrait-il mal ! Avec lui, je ferais différemment : je lui exposerais mon problème, je proposerais une alternative… à laquelle il serait libre de dire non. Ou peut-être me ferait-il une contre-proposition, du genre « j’ai compris que tu as besoin de calme, de mon côté il me reste 10 minutes de raid sur World of Warcraft, c’est important pour moi et j’ai besoin de parler à mon équipe, ça te va si dans 10 minutes je vais jouer dans un endroit plus isolé ? ». Libre à vous d’accepter, d’explorer ou de faire une contre-contre-proposition : on est sur un mode collaboratif, d’égal à égal, avec chacun nos besoins et ce qui est acceptable pour nous.

Certes, négocier prend du temps. On ne l’a pas toujours, surtout en cas de force majeure. Cela prend aussi de l’énergie et demande des compétences différentes par rapport à l’utilisation directe de l’impératif. Il faut savoir discerner ce qui se passe en nous, s’exprimer avec assertivité, s’assurer d’être compris, savoir écouter l’autre, percevoir au delà des mots ce qui semble important pour lui (ce que Marshall Rosenberg appelle les « oreilles de girafe »), arriver à un accord, cadrer quoi faire si l’accord devait être brisé par l’une des parties etc… Ouf, que de choses ! Bonne nouvelle : ces compétences peuvent s’apprendre. Mauvaise nouvelle : il faut pour ce faire les pratiquer. En d’autres termes : accepter de se planter. Beaucoup. Et risquer de ne pas s’exprimer aussi « naturellement » qu’on en a l’habitude. Le jeu en vaut-il la chandelle ? La réponse à cette question est évidemment personnelle. Pour moi, on ne perd pas grand chose à essayer, car au pire on peut toujours s’y prendre comme avant : l’essai ne vaut pas adhésion définitive. Pour creuser plus dans cette direction, je vous réfère à cet autre article sur la Communication NonViolente dans le cadre de la famille.

Tout est-il négociable ? Voici une objection classique : j’entends souvent que « l’adulte sait ce qui est bon pour l’enfant car il a l’expérience de la vie »… et ça justifie de contraindre Mini-Bobby à se diriger vers un bac scientifique puis 5 à 8 ans d’études qui ne l’intéressent absolument pas pour avoir un bon boulot en CDI. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux pour l’enfant : avoir une sécurité financière. Au détriment de ses aspirations. Car Papa/Maman ont testé, suivre ses passions, ça ne marche pas, car il faut bien pouvoir en vivre. Épargnons donc une grosse déception à Mini-Bobby, dirigeons-le vers la voie qui nous semble bonne pour lui. Et si Bobby le coloc décidait d’arrêter un CDI bien payé d’ingénieur-en-trucs-compliqués pour aller élever des hamsters nains en Sibérie, projet qu’il a l’air de grave kiffer ? Je ne sais pas pour vous, mais moi je lui souhaiterais bonne chance dans sa nouvelle vie. Alors pourquoi ne pas faire de même avec Mini-Bobby ?

Dans mon métier de coach, j’accompagne des adultes sur le chemin d’une vie qui fasse sens pour eux. Et je crois en eux. Je crois en leurs capacités à réaliser les choses qui sont importantes pour eux. Et l’enfant ? Quand est-il assez « développé » pour prendre des décisions responsables qui le concernent ? Je ne connais pas d’autre moyen d’acquérir une compétence que de la pratiquer. C’est comme cela qu’on apprend à marcher, parler, jouer d’un instrument, etc. Bon, j’ai volontairement pris des exemples « gentils », avec lesquels il me semble relativement facile de laisser l’enfant expérimenter. Mais qu’en est-il lorsqu’il y a un risque ? Apprendre à cuisiner par exemple : on peut se couper, se brûler, laisser le gaz allumé et faire exploser la maison. De même pour l’orientation : que se passe-t-il si l’enfant est comme on dit en « échec scolaire », est-il en train de rater sa vie ? Ou au contraire de la réussir à sa manière ? Qu’en sais-je vraiment ?

Tout cela pose la question des limites. Dans quelle mesure nous, adultes, pouvons-nous laisser les enfants expérimenter la vie pour apprendre ? Il n’y a à mon avis pas de réponse universelle, juste des choix personnels de positionnement avec lesquels nous nous sentons suffisamment à l’aise. Par exemple, dois-je forcer mon enfant à se laver au moins une fois par semaine s’il n’en a pas envie ? Y-a-t’il un risque pour sa santé ? Ou un risque social d’être vus comme des parents négligents s’il sent mauvais à l’école ? Bref, quelles conséquences potentielles suis-je prêt(e) à affronter si je laisse mon enfant décider cela pour lui-même (et faire cela par lui-même) ? Ou se situe la limite entre ma responsabilité et la sienne ? Les réponses vous appartiennent.

Pour conclure, j’aimerais vous proposer une raison supplémentaire de rechercher la collaboration plutôt que d’utiliser la force (physique ou verbale) en vous posant la question suivante : qu’est-ce qui est le plus important pour vous concernant vos enfants ? De mon côté, je dirais :

  • leur bonheur (actuel et futur).
    Développons. Sais-je vraiment ce qui rend mes enfants heureux ? Pour ma part, j’ai quelques pistes concernant le présent (je connais leurs goûts et centres d’intérêt), mais je ne m’avancerais pas concernant le futur : je crois que malgré tous les plans que l’on construit, la vie peut nous apporter bien plus via les imprévus. Du coup, qui d’autre que l’enfant sait ce qui est bon pour lui dans l’instant présent ? Certainement pas moi. Et j’ai aussi choisi de croire, comme pour mes clients adultes, en sa capacité de se créer le futur qu’il souhaite.
  • ma relation avec eux.
    Comment vous sentiriez-vous face à une personne qui vous forcerait à faire ce qui vous déplaît fortement, et qui plus est de manière répétée ? Dans le cadre de l’entreprise, les mots « risques psycho-sociaux » me viennent naturellement. Et dans tous les cas, de mon côté j’aurais du mal à passer ensuite un moment agréable avec cette personne. Je n’irais pas gaiement boire une bière avec un collègue qui tente d’avoir l’ascendant sur moi et qui m’oppresse : j’aurais du mal à l’estimer et à lui parler respectueusement. Tout cela pour vous dire qu’à chaque fois que vous utilisez la force verbale ou physique, vous le faites au détriment de la relation. On peut certes consacrer de l’énergie à la réparer en aval (utile pour les cas de force majeure), ou prévenir en amont. Allez, vous avez 5 minutes ? Sauvez une relation ! Essayez de collaborer au lieu d’imposer, l’autre vous revaudra ça.

Pour finir, j’ai envie de vous citer la plus ambitieuse étude scientifique jamais réalisée sur le bonheur. Et ça donne ça :

« En observant le quotidien de 724 hommes pendant 75 ans, des scientifiques de l’université de Harvard se sont penchés sur la recette du bonheur. Leur verdict est tombé fin 2015 : ni la richesse ni la célébrité ne suffiraient à rendre quelqu’un heureux. La qualité des relations, en revanche, garantirait bonheur, santé et mémoire.« 

(source : http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/la-recette-du-bonheur-220116-111951, et je vous conseille de regarder cette vidéo (en anglais) qui présente les résultats de l’étude)

Bref, à vous de jouer !

Stéphane Witzmann (Reblochon-Pizza)

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